Le CPF : beaucoup de titulaires, mais combien de bénéficiaires ? Par Didier Cozin

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Même si en formation la bonne idée d’un Compte Personnel était partagée par de nombreuses personnes il y a, comme souvent, loin de la coupe aux lèvres. Les partenaires sociaux, les pouvoirs publics et désormais le Parlement auront peut-être accouché d’un monstre financier, organisationnel et règlementaire qui dépasse déjà ses initiateurs, alors que tout reste encore à faire pour le faire vivre dans le monde du travail.

Le CPF (compte personnel de formation) n’est peut être au final qu’un leurre, une manière pour les pouvoirs publics de préempter un milliard d’euros sur les fonds formation des entreprises privées, alors même qu’aucune administration ne sera sollicitée. Il pourrait être un moyen de former les chômeurs à moindre frais pour l’Etat. Rien, en revanche, pour les salariés en poste, notamment ceux dont l’emploi est vacillant dans des entreprises fragiles.

Sans compter qu’au mieux le CPF ne sera accessible qu’en 2018 pour le commun des travailleurs. En effet, au lancement du CPF, en janvier 2015, les compteurs afficheront 0 heure puisque le décompte sera annuel et démarrera à ce moment là. Par ailleurs les pouvoirs publics ont déjà fait savoir que ce  serait à l’issue de la campagne de récolte des fonds de 2015 que les fonds seront accessibles, donc en 2016.

Pas de formations via le CPF avant 2018 !

Mais en janvier 2016  les compteurs n’afficheront encore au mieux que 24 heures pour les salariés à temps plein et le CPF n’étant pas le DIF (on nous le répète assez souvent !), les formations autorisées seront nécessairement « qualifiantes » et devront durer au moins 75 heures (durée minimale communiquée dans l’Etude d’impact de la Loi par le Ministère du Travail). Exit donc 2016 pour se former via son CPF en tant que salarié.

En janvier 2017  les compteurs n’afficheront encore que 48 heures (48 h pas chrono !). Toujours insuffisant pour réaliser ces fameuses formations qualifiantes... Exit donc le CPF en 2017.

Ce n’est qu’en janvier 2018,  en théorie, que le CPF pourra fonctionner : à ce moment là, 12 à 20 millions de travailleurs disposeront de 72 heures de CPF, soit presque les 75 heures requises par les pouvoirs publics.

Le CPF, un CIF sous conditions ?

En ce mois de mars 2014 le CPF apparaît donc pour ce qu’il est : un CIF - mâtiné de DIF - et sous conditions strictes quant au choix des formations. En fait, trop de défis reposent déjà sur ce fragile édifice :

  • Former plus d’un million de personnes par an via des formations qualifiantes avec des budgets divisés par 3.
  • Réorienter les fonds de la formation vers les publics les moins qualifiés (avec 1 seul milliard pour le CPF alors que 32 milliards sont dépensés tous les ans en formation).
  • Requalifier les 22 % d’adultes en grande difficulté sociale et professionnelle (2 millions de salariés illettrés, 2 millions de chômeurs de longue durée, 2 millions de jeunes sans travail ni formation).
  • Augmenter l’effort formation des entreprises tout en responsabilisant à la fois les salariés  et les employeurs sur le développement des compétences et le maintien de l’employabilité.

L’équation du CPF, c’est un peu la quadrature du cercle : faire plus de formations, de meilleure qualité, sur des listes qualifiantes, avec des budgets très faibles et un compteur extrêmement compliqué à tenir.

Vers un CPF « spécial chômeur » ?

D’ici 2020, trois scénarii nous semblent envisageables. Ils vont de l’abandon pure et simple du dispositif, à un CPF au seul service des chômeurs :

Le premier scénario verrait le succès du dispositif remplacer avantageusement le DIF. C’est l’hypothèse la moins probable car il faudrait tout à la fois que l’Etat puisse animer en quelques mois ce Compte Personnel de Formation qui comporte plus d’une centaine de variables et 20 millions de titulaires. Il faudrait aussi que, d’ici 2015, une liste de formations qualifiantes et de qualité soit dressée et déclinée sur tout le territoire par les organismes de formation.
Il faudrait enfin parvenir à former au moins 1 million de personnes par an avec quelques centaines d’euros pour chacun d’entre elles (contre 25 000 euros pour un CIF moyen).

Le second scénario penche pour une situation intermédiaire. Le CPF démarrerait poussivement après 5 ou 6 années d’expérimentations coûteuses, en temps comme en argent… Confidentiel durant des années, il nécessitera des millions d’euros pour la tenue d’un compteur (auparavant tenu gratuitement par les entreprises) et ne concernerait guère que les chômeurs et les jeunes sortis de l’école sans qualification.

Le troisième scénario reste lui aussi possible : l’échec complet du dispositif et de la loi de 2014, avec un CPF ne fonctionnant toujours pas en 2020 tandis que le DIF brillerait de ses derniers feux (pour disparaître fin 2020, car ayant une date limite de « consommation », il va nécessairement être très demandés dans les prochaines années).

Quel que soit le scénario envisagé on constatera que notre pays s’est focalisé sur un problème mineur (que deviennent mes heures de DIF en cas de perte d’emploi ?), en oubliant l’essentiel : comment notre pays peut-il jouer sa partition dans l’économie des savoirs et de l’information sans marge financière, ni réelle culture formation, et sans volonté ni capacité de réformer l’éducation nationale ?

On aimerait croire qu’après 10 années de retards, d’hésitations et de tergiversations, cette nouvelle réforme sera  la bonne : celle qui permettra de ne plus se payer de mots et de partir en formation aussi naturellement et simplement qu’on part en vacances. Pour l’heure, on en est loin.

 

Didier Cozin est ingénieur de formation professionnelle. 

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