« Il faut revoir entièrement le système de financement de la formation professionnelle »

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Le constat fait consensus : la formation professionnelle en France ne profite pas à ceux qui en ont le plus besoin. La réforme annoncée pour 2014 a pour principal enjeu de revoir en profondeur un système qui ne marche pas. Arnaud Chéron, directeur du pôle de recherche en économie de l’EDHEC Business School, travaille sur le sujet depuis plusieurs années. Afin d’alimenter le débat, Il fait un certain nombre de propositions

Quel est le principal problème auquel se heurte la formation professionnelle actuellement ? 

Ce qui coince aujourd’hui, c’est l’inégalité d’accès à la formation des salariés et des demandeurs d’emploi et, parmi les salariés, des cadres et des ouvriers. L’accès à la formation est ainsi trois fois plus élevé pour les cadres et professions intermédiaires que pour les ouvriers non qualifiés. Pourquoi ? Essentiellement parce que le retour sur investissement est plus important chez les personnes déjà diplômées. Et comme l’obligation légale de formation laisse l’employeur libre dans la répartition des dépenses de formation au sein de sa main d’œuvre, il va choisir de former en priorité les salariés les plus éduqués. Dans un souci de justice sociale, ne faudrait-il pas réorienter les fonds vers les personnes les moins qualifiées afin d’augmenter leur employabilité car ce sont elles qui sont le plus exposées au chômage ?

Que proposez-vous ?

 On pourrait envisager de redistribuer les sommes collectées en les modulant : substituer aux dépenses actuelles engagées par les entreprises un système de prélèvements redistribués sous formes de subventions, avec un barème propre à chaque CSP, et un taux de subvention décroissant avec le niveau de rémunération. Ce système, semblable à ce qui se pratique avec succès au Royaume-Uni, favoriserait la formation des moins qualifiés.

Et concernant les demandeurs d’emploi ?

Actuellement, sur les quelques 30 milliards d’euros dépensés chaque année pour la formation professionnelle, 4 milliards vont aux demandeurs d’emploi (jeunes exclus). L'augmentation de ces dépenses peut se discuter, et je pense surtout qu’il faudrait les utiliser différemment, par exemple en allouant les sommes en jeu vers des aides à la création d’emploi pour les entreprises, afin que celles-ci forment selon leurs besoins. Car il ne sert à rien de former dans le vide, sans emploi à la clef ! Le système actuel fait courir le risque de dépenses de formation "jetées à la mer", puisque une partie des personnes formées tardent à retrouver un emploi et, au bout de quelques mois, perdent le bénéfice de leur formation.

Vous ne craignez pas un effet d’aubaine pour les entreprises ?

Je ne pense pas car l’utilisation de ces fonds est soumise à condition : l’entreprise qui souhaite en profiter doit recruter et former. Les entreprises sont au cœur de l’emploi. A elles de jouer.

N’y a-t-il pas un risque que les entreprises ne forment plus leurs cadres ?

Non, car elles auront toujours intérêt à le faire : pour améliorer leur performance, pour fidéliser…

Cette réforme de 2014 n’est pas la première. Pensez-vous qu’elle changera réellement quelque chose ?

Je l’espère. Nous avons besoin d’une réforme en profondeur, qui ne se traduise pas seulement par quelques petites mesures « à la marge ».

Propos recueillis par Christina Gierse

Crédit photo : Hervé Thouroude

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