Défense du Droit à la formation (DIF). Par Didier Cozin

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Le 20 septembre est une date importante pour la formation tout au long de la vie en France. Didier Cozin nous rappelle dans cette tribune quel est ce célèbre anniversaire pour la formation.

En effet, c’est en septembre 2003, dans un tout autre contexte économique et social, que les partenaires sociaux signèrent à l’unanimité un ANI qui proclamait dans son préambule : « Dans une économie de plus en plus ouverte sur le monde, les entreprises sont confrontées en permanence à la nécessité d'une adaptation maîtrisée à leur environnement. Le renouvellement accéléré des techniques de production et de distribution des biens et des services sollicite toujours davantage l'initiative et la compétence de chacun des salariés ; leurs aspirations à une meilleure maîtrise de leur évolution professionnelle nécessitent de renouveler les objectifs et les moyens de la formation professionnelle continue. »

Le DIF naquit donc le 20 septembre 2003 et l’article 6 de l’ANI stipulait : « Le droit individuel à la formation (DIF) : Tout salarié employé à temps plein, sous contrat de travail à durée indéterminée, bénéficie chaque année d'un droit individuel à la formation, d'une durée de 20 heures, sauf dispositions d'un accord de branche ou d'entreprise prévoyant une durée supérieure. Pour les salariés à temps partiel, cette durée est calculée au pro rata temporis ».

Le DIF peut encore vivre et remplir le rôle que les partenaires sociaux (en droite ligne des objectifs du sommet de Lisbonne de mars 2000) lui avaient assigné il y a 10 ans :

- Augmenter le taux de départ en formation de tous les salariés, y compris de moins qualifiés ;
- Doter chaque travailleur d’un Droit à la formation lui permettant d’être acteur (et en partie responsable) de son projet professionnel ;
- Faire monter en compétences notre pays afin de remplir les objectifs européens du sommet de Lisbonne (préparer la transition vers une société et une économie fondées sur la connaissance, moderniser le modèle social européen en investissant dans les ressources humaines et en luttant contre l'exclusion sociale ; entretenir les conditions d'une évolution saine de l'économie et les perspectives de croissance favorables, en dosant judicieusement les politiques macro-économiques.)

Prétendre revenir à l’esprit de la formation professionnelle de 1971 est une erreur fondamentale. La première réforme de 1971 était une réforme audacieuse pour l’époque, mais 40 ans plus tard tout a changé et la formation ne peut plus se contenter d’être une marginale « école de la seconde chance » ou une rustine éducative, alors que la crise interpelle tous les travailleurs ainsi que notre modèle social et professionnel.

En janvier 2013, le patronat et 3 syndicats ont décidé de substituer un Compte personnel formation au DIF dont ils prétendent qu’il n’a pas trouvé son public (« un pari perdu sur l’intelligence » selon certains).

Le Compte Personnel formation est une triple erreur.

- Une erreur du patronat qui a cru faire des économies en noyant le poisson DIF, alors que chacun mesure à quel point la compétitivité des entreprises dépend de la formation des travailleurs ;
- Une erreur des syndicats signataires qui, tout à leur souhait de complaire aux pouvoirs publics, n’ont pas compris qu’ils abandonnaient la proie pour l’ombre avec cet hypothétique compte personnel formation ;
- Une erreur enfin des pouvoirs publics qui ne veulent pas entendre que c’est d’abord d’une profonde et durable réforme de l’Education nationale dont notre pays a besoin pour mieux apprendre.

Au lieu de se demander pourquoi le DIF n’a pas fonctionné et de s’appuyer sur l’existant, les partenaires sociaux et les pouvoirs publics fébriles ont préféré inventer encore un nouveau dispositif qui provoquera une nouvelle fois complexité et attentisme dans un monde professionnel qui a fait, globalement, de la formation un sujet secondaire.

Le Compte personnel formation ne peut pas remplacer le DIF. On ne remplace pas un droit des travailleurs par un banal compteur « réceptacle » d’heures de formation.

Ce n’est pas d’une monnaie de singe dont ont besoin les travailleurs de notre pays, aucun d’entre eux ne serait sécurisé par des heures de formation non financées et non finançables.  

Le Droit à la formation n’a pas pris en France, non pas parce que les salariés ne voulaient pas se former (même si  l’on peut comprendre les réticences de ceux à qui l’on a rien proposé depuis des lustres), mais tout simplement parce que les partenaires sociaux et l’Etat ne sont pas allés au bout de leur ambitions affichées en 2003.

- Ils ont omis de doter le DIF d’un régime financier spécifique (comme le CIF qui fonctionne parce qu’il est assis sur un prélèvement obligatoire de 0,2 % de la masse salariale) ;
- Ils ont pensé que la formation tout au long de la vie ne concernerait qu’une fraction des salariés ;
- Ils ont retardé durant des années le lancement effectif des formations en prétextant des accords de branche, des difficultés de mise en œuvre ou d’autres priorités ;
- Enfin ils n’ont pas su communiquer sur les mérites et l’intérêt de se former tout au long de la vie.

Deux dispositifs compatibles ?

Ce serait une erreur majeure d’abandonner le DIF, il est connu de 95 % des salariés (enquête Demos de 2012), il a été l’objet de plusieurs milliers d’accords d’entreprises et de branches professionnelles, il n’a que 10 ans (et tous les spécialistes savent qu’il faut une génération -soit 20 ans- pour faire évoluer les mentalités et les pratiques en formation).

Le DIF peut parfaitement cohabiter avec ce  compte personnel formation en devenir. Comme le compte personnel formation  n’est qu’un « réceptacle » d’heures de formation, il est évidemment possible de conserver  le DIF dont les heures seraient portées sur ce compte formation.

Aujourd’hui, notre pays s’apprête à rayer d’un trait de plume législative ce Droit de l’homme et du travailleur, alors que les financements font défaut partout, que la complexité et la précarité dans la formation ont augmenté et que des millions de travailleurs, salariés ou non, s’inquiètent pour leur avenir professionnel et social.

Il n’y a aucune incompatibilité entre le DIF et un compteur formation (le compteur qui était tenu jusqu’à présent par l’employeur sera simplement tenu par un organisme national).

Pour que le DIF vive réellement (il permet tout de même à 600 000 personnes de se former tous les ans), il ne lui faudrait que quelques ajustements :

  1. En faire un droit opposable à l’employeur (qui aurait simplement la possibilité de le reporter une seule fois pour raison de service à l’instar du CIF) ;
  2. Le doter d’un régime financier certain : il suffirait d’abandonner ce système inefficace et obsolète de la cotisation obligatoire et de le remplacer par le versement  d’une somme fixe et annuelle (donc provisionnable) sur le  compte personnel formation de chaque salarié ;
  3. Rendre enfin la formation professionnelle tout au long de la vie simple, fluide et accessible pour que le travail des acteurs de la formation ne consiste pas à manier de la paperasse et des justificatifs tout au long de l’année (le président de la République a parlé d’un choc de simplification en octobre 2012, on attend toujours ce choc de simplification en formation) ;
  4. Prétendre revenir à l’esprit de 1971 en formation est une erreur car la formation tout au long de la vie mérite mieux que cette nostalgie et l’isolement éducatif et économique dans lequel les français s’enferment.


L’histoire ne repasse jamais les plats et les 30 Glorieuses (pas plus que la Renaissance) ne reviendront pas de sitôt en Occident (elles furent surtout des exceptions ou des accidents de l’histoire). Aujourd’hui il est vital que tous les travailleurs de France puissent se former, apprendre et maîtriser l’anglais, les nouvelles technologies, la langue française écrite et parlée.

Avant d’imaginer des formations longues et qualifiantes pour tous (avec quel argent et qui parviendrait à les organiser ?) les pouvoirs publics feraient bien de respecter le Droit à la formation des travailleurs et de ne plus ponctionner les entreprises sur leurs fonds formation.

A propos de l’auteur :

Didier Cozin
est auteur des livres Id-Reflex DIF et histoire de DIF. Il appelle à signer et faire signer la pétition des pinsons : « ne touchez pas à mon droit à la formation »

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