La formation est-elle de la communication ? Par Didier Cozin
La formation professionnelle continue semble être un sujet parfaitement consensuel en France. Tout le monde se déclare pour la formation et la considère positivement :
- Les pouvoirs publics proclament qu’elle est une obligation nationale, elle serait tout à la fois l’outil pour retrouver notre compétitivité, la solution pour les jeunes sans qualification et les actifs sans emploi. Elle n’attendrait en fait que la grande et vraie réforme pour enfin devenir efficace, adaptée, moderne et universelle ;
- Les partenaires sociaux prônent la formation. Elle permet par exemple lors de difficiles négociations sociales (comme celle sur la sécurisation de l’emploi et de la flexibilité en janvier dernier) de trouver un terrain d’entente et de faire des concessions (vous nous offrez la flexibilité du contrat de travail et nous vous faisons le cadeau du Compte Personnel Formation) ;
- Les entreprises adorent la formation. A en croire leurs sites et leurs plaquette de communication, elles ont toutes une politique soutenue de développement des compétences et de maintien de l’employabilité. La formation serait depuis toujours l’axe majeur et principal des services RH ;
- Les travailleurs français aussi aiment beaucoup la formation. Dans toutes les enquêtes ils prétendent vouloir se former, développer leurs compétences, mieux s’insérer professionnellement. Tout au plus concèdent-ils qu’ils ont du mal à trouver la formation (miracle) à laquelle ils prétendent.
Bref, les français, dans leur ensemble, ont une vision positive et favorable de la formation. Le problème est que depuis 40 ans les faits semblent démontrer le contraire.
Au niveau européen, notre pays est mal classé pour les départs en formation (indicateur européen plus pertinent que le montant des sommes dépensées en formation).
Selon cet indicateur moins de 5 % des travailleurs étaient partis en 2010 en formation dans le mois précédent l’enquête. Nous étions 7 % environ en l’an 2000 à partir tous les mois en formation, et les objectifs européens de 15 % de départ en formation tous les mois en 2020 semblent inatteignables pour la France.
D’autres indicateurs prouvent à l’envie que notre pays forme mal, forme peu et rarement ses travailleurs.
Nous savons que 50 % des dépenses servent à la formation de 6 % des salariés, que les non salariés (auto-entrepreneurs, libéraux, indépendants, artisans…) se forment encore moins, que le mythe de la grande entreprise formatrice face aux PME sans formation ne tient pas (on peut travailler dans un groupe de 100 000 personnes et bénéficier de très peu de formation, dans la grande distribution par exemple).
Au niveau de la pratique des langues étrangères nous sommes parmi les derniers de l’Union européenne (26 sur 27 pour la pratique de l’anglais), nous employons près de 2 millions de travailleurs illettrés, nous faisons travailler des millions d’autres travailleurs non diplômés, non qualifiés, à la merci de toute rupture professionnelle, de licenciements, de changements de métier.
Des français sévères
Si l’on se penche sur la dernière étude publiée par l’IFOP en avril 2013, « les français et la formation professionnelle », on apprend entre autre que :
- 76 % des français estiment que l’argent public est inefficace dans la formation ;
- 79 % des français pensent que les dispositifs de formations ne sont pas adaptés au marché du travail ;
- 76 % des français pensent que la formation doit prioritairement aller vers les chômeurs et les travailleurs peu qualifiés (mais 5 % vers les seniors).
Les Français sont donc sévères envers la formation. En gros ils pensent que la formation professionnelle c’est de l’argent public mal utilisé (alors qu’en fait la majeure partie des fonds vient du secteur privé), ils croient que les entreprises bénéficient de subventions pour former leurs salariés (ce qui est exceptionnellement le cas mais peut arriver avec des subventions européennes via le FSE).
Ils pensent que la formation n’est pas adaptée au marché du travail (en gros on formerait des secrétaires alors qu’il faut des plombiers et des boulangers) et enfin que la formation est une sorte de voiture balai pour récupérer les exclus du système (jeune sans qualification ou chômeurs) mais sans doute pas pour eux-mêmes.
Ces critiques nous semblent non seulement injustes mais aussi très superficielles. Elles prouvent que :
- Les français n’ont toujours pas intégré qu’ils vont devoir se former tout au long de la vie, y compris ceux qui ont un travail qualifié, assuré et en CDI ;
- Ils n’ont pas compris que la formation est d’autant plus efficace qu’elle est intégrée à la pratique professionnelle (qu’elle éclaire). Que le meilleur moment pour se former c’est quand tout va bien, quand on a un travail et qu’on se sent compétent et confiant ;
- Ils pensent à tort que ceux qui sont sortis sans qualification de l’école souhaitent retourner à l’école pour se former à nouveau, qu’en y mettant les moyens on y arrivera ;
- Ils considèrent aussi la formation comme une assurance perte professionnelle à mettre en œuvre quand tout va mal, pas du tout une anticipation au travail et dans son métier ;
- Ils ont du mal à trouver le temps de se former et acceptent exceptionnellement de le faire sur leur temps de loisirs (alors que les 35 heures devaient libérer du temps pour se former) ;
- Ils sont rarement prêts à s’investir durablement et avec persévérance dans un projet de développement personnel et professionnel (moins de 1 % de reprises d’études en France).
Devenir mobile, entreprenant et apprendre
Bref et même si la formation ne peut sans doute être exemptée de critiques, les Français trop matérialistes (des sous, des voitures et des logements) n’ont guère intégré que les paradigmes de la société industrielle et des 30 glorieuses sont dépassés, derrière nous et que désormais pour travailler, gagner sa vie, bénéficier d’une ascension professionnelle, il faudra :
- Devenir mobile et entreprenant. Le travail ne sera jamais plus (dans 2 siècles on ne sait pas) massif, simple et accessible à tous. Jadis les pauvres travaillaient pour le compte des riches (qui étaient souvent oisifs). Désormais ce pourrait être l’inverse avec une société duale :
>des travailleurs hyper-compétents et performants, polyglottes, investis, mobiles, experts dans leur domaine et gagnant bien leur vie ;
> des travailleurs (presque) sans travail, faiblement occupés dans des emplois difficiles, précarisés au sein d’un univers professionnel qui aurait changé sans eux.
- Faire de l’apprentissage une seconde nature. « L'illettré du futur ne sera pas celui qui ne sait pas lire. Ce sera celui qui ne sait pas comment apprendre », Alvin Toffler. L’apprentissage ne peut plus être réservé à la période de l’enfance et de la jeunesse. Il faut apprendre tout au long de la vie et pour ce faire il faut (S.V.P) :
>Savoir apprendre. On n’apprend pas seul et sans méthodes ni outils ;
> Vouloir apprendre. On n’apprend pas contre son gré, sans élan, envie et enthousiasme (c’est pour cela qu’il est si difficile d’apprendre quand on a perdu son emploi) ;
>Pouvoir apprendre. Dans l’organisation et dans la société les obstacles aux apprentissages existent, ils doivent être réduits. On doit pouvoir apprendre aussi facilement qu’on part en congés payés.
Pour conclure et alors que les pouvoirs publics tentent une nouvelle fois de lancer leur réforme de la formation et une loi pour la fin de l’année (la troisième en 10 ans !) et alors que Michel Crozier vient de décéder (lui qui avait écrit en 1979 « on ne change pas une société par décret »), il faut peut être que les Français prennent désormais en main leur avenir social et professionnel, qu’ils cessent de déléguer aux autres les responsabilités qui leur incombent, à savoir :
- Travailler est une base de la vie en société, c’est le travail qui intègre, qui apprend, qui permet le développement de tous. Les revenus ne doivent pas se substituer au travail ;
- Prendre des risques professionnels, éducatifs. « Le progrès est une avalanche, celui qui ne bouge pas est enseveli » ;
- S’investir dans ses apprentissages plutôt que de songer aux loisirs ;
- Travailler mieux, travailler plus longtemps, on ne peut travailler moins et faire travailler moins de monde que les autres peuples de la planète ;
- Changer soi même plutôt que vouloir faire changer les autres ;
- Reprendre confiance en soi et dans la société ;
- Intégrer que chacun d’entre nous est responsable de ce qui lui arrive, en bien comme en mal et que l’Etat ne peut pas tout faire pour tous.
Les Français sont désormais à la croisée du chemin, ils ne pourront pas emprunter plus pour donner le change ou ne pas évoluer. Le consensus doit passer par notre refondation professionnelle et sociale. Le travail n’est ni une malédiction ni un cadeau, c’est une nécessité et chacun doit désormais se former tout au long de sa vie, quel qu’en soit le prix.
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