La formation professionnelle, entre logique de marché et valeurs. Par Denis Cristol

Share |

La formation professionnelle dans l'enseignement supérieur est actuellement à un carrefour. Elle est aspirée par une logique de marché. Des marques se mettent en place et cristallisent sur elles des promesses, renforçant au passage une logique consumériste.
Ces marques s'adressent plus fréquemment aux individus dont les études statistiques révèlent la montée régulière de leur influence dans le choix des formations voire même des financements. Les individus cherchent à réduire l'incertitude de leur carrière en misant sur l'acquisition de diplôme, considéré comme une assurance.
Chaque année, plus de 100 000 titulaires d’un bac +5 ou plus viennent concurrencer sur le marché du travail des salariés plus anciens et moins qualifiés. Pressentent-ils qu'ils sont en concurrence avec les 100 000 indiens qui acquièrent un MBA dans le même temps ? La reprise de formations diplômantes, quoique 13 fois moins fréquente en France qu'en Angleterre, laisse penser que le marché de la formation devient un marché de la certification.
La promotion sociale, message fort des années 70, avait durablement orienté le marché. Avec le désir d'égalité des chances et des places, elle est loin d'être agonisante et excite les convoitises des grands acteurs éducatifs.
Mais des confusions ou des rapprochements, selon la perspective que l'on souhaite adopter, se font jour.
Développer une respectabilité
Les universités entrent dans les logiques de marques, il n'est qu'à voir la dispute concernant l'usage de la marque SORBONNE. Suivant les préceptes industriels d'économies d'échelles, les universités se regroupent et se positionnent. Elles managérialisent en quelques sortes leurs pratiques et entrent en compétition. On y enseigne désormais le coaching, c'est dire si un pas a été franchi en direction des mondes de l'entreprise !
Non contents d'entrer en bourse, les centres de formation privés aspirent à diplômer à leur tour. Avoir bâti un premier niveau de reconnaissance intellectuel en devenant éditeur et en installant leur marque sur des publications ne leur suffit plus. Les centres de formation s'inscrivent désormais dans des partenariats pour délivrer des masters. Ce faisant, ils cherchent à développer une respectabilité. D’entreprise, ils se voient devenir des institutions.
Les écoles de commerce et d'ingénieur les mieux installées poursuivent aussi leur regroupement pour être distinguées dans les classements. Elles misent sur la recherche et se coulent dans des politiques d'accréditation et de publication. Parmi les 12 000 écoles de management dans le monde, les 240 Françaises - et particulièrement les 37 membres de la CGE - semblent simultanément influencées par le modèle américain, à savoir compétition salariale entre les meilleurs professeurs, fundraising, internationalisation, mais gardent un œil sur le processus de Bologne en développant des Bachelors, des Masters et demain des Doctorats.
Une question de temps
Les entreprises investissent le fait éducatif. L'Oréal, alors qu'elle a mis plus de 100 ans pour gagner son premier milliard de clients, se donne pour objectif d’en gagner 1 milliard de plus dans le monde dans les 10 prochaines années. Pour réussir son pari, elle renforce sa propre université et s'allie à des grandes écoles. C'est la déferlante des universités d'entreprises. La formation est alors pensée comme moyen de mobilisation, voire d'enrôlement des salariés.
En conclusion, face à ces transformations, gageons que les marques rencontrent aussi les valeurs. Mais restons patients, car un changement éducatif même appelé par un désir de réformer des élites qui ont failli, ou par la promesse des rentes d'un marché en ébullition, ne se fera que dans la durée. Le temps de développement d'un nouveau cursus, celui de sortie d'une promotion, puis de la prise de responsabilité effective d'une nouvelle génération s’étale sur plus de 10 ans.
Les temps éducatifs sont des temps longs et lents, même bousculés par les marchés.
A propos de l’auteur
Denis Cristol est Responsable formation continue à Advancia et Negocia. Il est chercheur en sciences de l’éducation, CREF Paris Ouest Nanterre

à lire également

Dans la même rubrique

RECHERCHER UNE FORMATION

AEC logo


Recherche guidée thématique

Recherche par thème :