Le DIF a 8 ans

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Le DIF a 8 ans. Le 20 septembre 2003 les partenaires sociaux signaient l’accord Interprofessionnel sur la formation tout au long de la vie.

Quelques extraits du préambule de cet ANI  :

Dans une économie de plus en plus ouverte sur le monde, les entreprises sont confrontées en permanence à la nécessité d’une adaptation maîtrisée à leur environnement. (…) Conscients que le développement de l’accès à la formation est un enjeu majeur pour la société française et européenne et partageant l’ambition et la volonté d’accroître de manière décisive et efficace l’accès de tous à la formation tout au long de la vie professionnelle, les parties signataires du présent accord se donnent pour objectif :

- De permettre à chaque salarié d’être acteur de son évolution professionnelle grâce aux entretiens professionnels dont il bénéficie ou aux actions de bilan de compétences ou de VAE auxquelles il participe
- De favoriser l’acquisition d’une qualification tout au long de leur vie professionnelle, aux jeunes, aux demandeurs d’emploi et à certains salariés en leur permettant de suivre des actions de formation dispensées, notamment dans le cadre d’un contrat de professionnalisation ou d’une période de professionnalisation
- De développer l’accès des salariés à des actions de formation professionnelle conduites tout au long de leur vie professionnelle, dans le cadre :
> du plan de formation décidé et mis en œuvre au sein de leur entreprise,

> du droit au congé individuel de formation mis en œuvre à leur initiative,

> du droit individuel à la formation mis en œuvre à leur initiative, en liaison avec leur entreprise

…dans cette perspectives les parties signataires du présent accord décident de :

- Article 6 – Le droit individuel à la formation (DIF)

6.1 Tout salarié employé à temps plein, sous contrat de travail à durée indéterminée, bénéficie chaque année d'un droit individuel à la formation, d'une durée de 20 heures, sauf dispositions d'un accord de branche ou d'entreprise prévoyant une durée supérieure. Pour les salariés à temps partiel, cette durée est calculée au prorata temporis.

Arrêtons ici ce retour rétrospectif et observons les faits huit ans après cet accord social, qui fut qualifié alors d'« historique ».

Le DIF devait  bouleverser une formation professionnelle largement disqualifiée dans les faits depuis 1971 (50 % des budgets pour 6 % des salariés les plus qualifiés, un accès presque impossible dans les PME..). La formation  parvenait à réussir la performance d’être tout à la fois inefficace pour les entreprises tout en étant coûteuse et peu utile aux salariés. En 2007 la commission sénatoriale Carle inventa  3 lettres pour qualifier la formation professionnelle à la  française. Ce n'était pas le triple A évidemment mais  le triple C : Corporatiste, Complexe et Cloisonnée.

Si les 5 partenaires sociaux demandèrent ensuite qu’on laisse le DIF aller jusqu’à son terme (donc l’année 2010) afin qu’il produise les effets pour lesquels il avait été conçu, il est  temps aujourd’hui de dresser un bilan.

Il est important d’ouvrir les yeux pour au moins trois bonnes raisons :

 

1)      Le DIF est désormais connu de 95 % des salariés (enquête Demos de mars 2011) Il fallait sans doute de 5 à 7 ans pour que ces trois lettres acquièrent une signification dans l’esprit des 15 millions de salariés du privé qui y ont droit.

2)      Depuis 2010 les salariés à temps complet, entrés en 2004 ou avant dans leur entreprise, « perdent » tous les ans 20 heures de formation (les compteurs sont pleins et le DIF ne produit pas d’intérêts, il n’est pas un plan d’épargne formation).

3)      La crise économique de la fin 2008, cette crise inédite, durable, puissante et structurelle interpelle de nombreux salariés sur leur avenir professionnel. Sans formation, remise à niveau ou reconversion un certain nombre d’entre eux (les personnels de production notamment) risque de perdre toute employabilité et chance de retrouver dans un délai connu du travail.

Pourquoi 10 (%) sur DIF ?


Le DIF comme nous avons tenté brièvement de le démontrer avait pour mission de « culbuter » une formation professionnelle qui tourne en rond (elle forme en rond). Les partenaires sociaux conscients de l’étendue et de la profondeur des blocages (datant de bien avant la première Loi sur la formation en 1971) pensèrent qu’en dotant chaque salarié d’un Droit à la Formation, celui-ci forcerait au final cette vieille dame formation à évoluer, à se reconstruire, à adopter enfin un modèle apprenant éloigné de l’élitisme à la Jules Ferry (on trie le bon grain de l’ivraie).

Doter la masse des travailleurs d’un Droit à la Formation devait permettre de percer un mur de corporatismes et de blocages sociaux très anciens.

Las, en huit années rien ne s’est encore produit, le bouchon et les blocages perdurent (plus que jamais pourrait-on écrire). La formation professionnelle classique fait de la résistance. Après avoir tergiversé durant des années, elle prit la décision par la suite de laisser le dispositif filer tous les ans.  Les entreprises préférèrent ne plus rien faire, pensant qu’à terme face à un risque financier de 77 milliards d’euros (selon la Cour des comptes en 2008) les pouvoirs publics sauveraient le soldat formation professionnelle en la tirant de l’ornière qu’elle a  elle-même creusée.

Depuis 2007 le DIF était devenu un tabou dans les entreprises, trois lettres qu’on oubliait aussitôt évoquées 2 fois l’an lors des commissions formation. On faisait du DIF pour 10 % des salariés de l’entreprise, typiquement 5 à 8 % de DIF tous les ans (au mieux). D’un dispositif qui devait concerner l’ensemble des salariés (70 ou 80 % tous les ans) on l’avait réduit à un DIF contingenté et marginal (comme les bilans de compétences, les CIF ou encore la VAE). 

Il y a quelques jours une « grande » société industrielle (6 000 salariés en France) évoquait avec nous ses 6 % de DIF (soit 300 DIF environ). Les responsables formation de cette entreprise tentent en vain depuis 5 ans de concilier les impératifs d’économies de la société (les contrôleurs de gestion veillent), les plans sociaux (qui verront à terme l’essentiel de la production délocalisé) et des demandes faibles de salariés peu avertis  sur leur avenir professionnel et qu’on laisse seuls face à un marché de la formation taillé pour le B to B.

Une lueur d’espoir tout de même

Depuis l’été 2011 et la rechute évidente des économies occidentales, il semble se dessiner parmi les grands patrons un timide mouvement vers un développement (mesuré) du  Droit à la Formation. Dans quelques très grandes entreprises (plus de 10 000 salariés), les directives données aux services RH ou formation sont désormais plus ouvertes face  au DIF.

Il ne s’agit plus de noyer le poisson ou de résister aux demandes mais d’initier un mouvement de l’entreprise qui aurait décidé (après 7 ans de tergiversations) d'assumer une part de ses responsabilités sociétales et sociales.

L’avenir nous dira rapidement s’il s’agit une nouvelle fois de faux semblants, de belles paroles sans effets sur le terrain (comme les très formels plans seniors) ou bien d’une prise de conscience inédite (et tardive) de l’importance de former et d’accompagner tous les personnels sur les chemins de l’employabilité dans la société de la connaissance et de l’information.

Trente ans avant la révolution française (alors que les anglais avaient adopté l’Habeas Corpus dès 1679) Voltaire écrivait « Les français arrivent tard en toute chose, mais ils arrivent tout de même ».

En 1789 le peuple français faisait trembler le monde avec la Révolution française.

A propos de l’auteur :

Didier Cozin
est auteur des ouvrages "histoire de DIF" et  "ID-Reflex DIF"

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