Le DIF, peut-on le déployer en 2012 ?

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Alors qu’une nouvelle réforme de la formation venait juste d’être votée au parlement en novembre 2009 (elle instaurait entre autre la portabilité du DIF) nous écrivions un petit mode d’emploi du DIF en entreprise : Le DIF comment s’en sortir en 2010 ?

En cette fin d’année 2011, alors que les bilans des 2 réformes successives sont connus de tous, une évidence s’impose : la formation continue en France a fait de la résistance et notre pays n’est pas parvenu à la transformer en une démocratique et équitable formation tout au long de la vie.

Un des objectifs éducatifs de l’UE était de porter à 12,5 % en 2010 (et désormais à 15 % pour 2020) la proportion d’adultes âgés de 25 à 64 ans qui suivrait une formation dans les quatre semaines précédant l’enquête. En l’an 2010 la France était très en deçà de cet objectif avec un taux d’accès moyen à la formation de 5 % dans les 4 semaines qui précédaient l’enquête.

De cet indicateur européen (bien plus parlant que les illusoires budgets formation sans guère d’effets sur le terrain), la France est donc passée en 2010 au 21e rang sur les 27 de UE (coincée entre la Lettonie et la Lituanie mais devant… la Grèce).

En France, seules 10,5 % des entreprises auraient (selon une enquête conjointe Dares-Insee-Cereq) une véritable politique formation tout au long de la vie. Nous formons donc peu, nous formons mal et nous ne formons qu’une minorité de salariés tout en prétextant dépenser plus que les autres pays en formation (le quantitatif n’est évidemment pas tout en formation).

De faibles et marginaux résultats

Deux ans après la réforme de 2009, alors que notre pays pourrait connaître un redoutable et durable hiver économique (européen en fait), il est possible de dresser un bilan d’un Droit individuel à la formation (DIF) qui va désormais sur ses huit années.

Bien malheureusement, la greffe formation tout au long de la vie n’a pas pris en France. Le DIF qui devait ré-enchanter (ou tout au moins reconfigurer) le système n’a donné que de faibles et marginaux résultats et ce formidable blocage éducatif devient aujourd’hui dangereux pour notre avenir économique et social commun.

Tout comme ces plans européens pour sauver l’euro qui arrivent trop tard ou trop faible face aux enjeux, notre appropriation de la formation tout au long de la vie semble conserver toujours un train de retard. Nombre d’entreprises prennent simplement conscience de l’existence la Loi de 2004, sept ans après sa publication !

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Le système de formation pour les adultes reste configuré pour le XXe siècle : contingentement éducatif, parcours du combattant et cloisonnement des parcours comme des dispositifs.
- Les partenaires sociaux et les pouvoirs publics se paient de mots sans parvenir à donner une réelle impulsion au système de formation.
- Les salariés déclarent à 80 % avoir envie de se former mais sur le terrain ne peuvent pas, ne savent pas ou ne veulent pas changer (on se forme pour changer).

Dans ce médiocre paysage cognitif, seules 10,5 % des entreprises bâtissent une réelle et efficiente politique formation tout au long de la vie (et ce ne sont pas toujours de grandes organisations). Bien peu au regard des besoins actuels en formation (3 millions de salariés sont illettrés par exemple).

Pourtant tout démontre que les pays qui réussissent le mieux, les organisations qui s’adaptent aux changements,  les individus qui se développent, ceux-là se sont appropriés les nouveaux enjeux éducatifs de la formation tout au long de la vie.

Ces enjeux de la formation tout au long de la vie sont pourtant simples :

- Face à un progrès technique incessant et ultra rapide on doit apprendre et se reconstruire tout au long de sa vie professionnelle.
- La seule richesse devient l’éducation. Plus personne n’est propriétaire de son emploi, seul l’employabilité est inaliénable et porteuse d’avenir.
- Les écarts professionnels entre les individus se creusent si les travailleurs peu qualifiés restent à l’écart de la formation.
- Les entreprises ne pouvant plus garantir l’emploi à vie, elles doivent maintenir l’employabilité de tous leurs salariés.
- Le diplôme n’est plus le viatique de toute une vie professionnelle. Sur son poste de travail un salarié peut désormais perdre ses compétences en moins de 6 mois sans réinterprétation et renouvellement de ses pratiques.
- Le marché des compétences est mondialisé, sans réajustement constant l’Europe et ses travailleurs risquent de connaître une marginalisation économique et sociale.
- Les nouvelles qualités attendues des travailleurs ne sont plus celles des XIX et XXe siècle. La compétence, la créativité, l’innovation, l’autonomie, l’implication se substituent à l’obéissance, la qualification ou à la confrontation.
- Les mobilités professionnelles, fonctionnelles, géographiques sont indispensables tout autant pour le travailleur que pour les organisations.
- Les parcours professionnels seront renouvelés sans cesse, les reconversions nombreuses et les capacités des individus à se reconstruire deviennent fondamentales.
- La première richesse des organisations est faite de leur capital humain, sans entretien régulier, sans une politique volontariste et humaniste de développement  des compétences la formation n’est que de la répétition. La capacité des organisations à changer est liée à leur capacité à accompagner et à former.
- Les seniors ne peuvent demeurer des salariés au rebut. Ils sont le garant du patrimoine, des valeurs à transmettre et de la pérennité de l’entreprise. L’entreprise doit apprendre à manager les âges et les connaissances.
- Le savoir digital remet en cause les anciens modes de management. La hiérarchie devient obsolète tout comme les grilles de salaires ou l’avancement à l’ancienneté.  Trois générations devront cohabiter et travailler ensemble dans les entreprises, la mixité des âges devient fondamentale.

De quelque angle qu’on aborde le problème du travail en France on s’aperçoit que l’éducation et la formation tout au long de la vie ne peuvent rester les maillons faibles d’une société tournée vers le passé ou la seule consommation passive de biens ou de loisirs formatés.

Comment donc s’en sortir en 2012 ?

- Il faut adopter dans chaque organisation un plan Marshall pour les apprentissages : définir des budgets, cesser d’attendre des subventions en formation. Quand la reprise interviendra il faut que les travailleurs aient été mieux formés mais surtout qu’ils soient entrés dans le cercle vertueux de la formation tout au long de la vie. L’éducation n’est plus un fusil à un coup (même si elle aura toujours un coût).
- La formation ne doit plus être ce poste de dépense sur lequel on économise dès le démarrage d’une crise. La formation et ses budgets doivent être sanctuarisées, ils sont l’avenir de l’organisation.
- Il faut doter les services RH et formation d’une nouvelle ambition éducative. Si l’entreprise apprenante est l’avenir des grandes organisations il faut donner les premières places à ceux et celles qui animent les services formation. Le contrôle de gestion est certes utile mais il ne peut créer de valeurs pour l’avenir. Steve Jobs ne comptait pas ses sous pour imaginer les machines qui font rêver la terre entière.
- Il faut que l’Etat desserre son contrôle sur la formation (sinon les responsables formation passent plus de temps à justifier leur travail qu’à mettre en œuvre des formations). On doit passer d’un Etat inspecteur des travaux finis (sur le mode de la IIIe République) à un Etat post-moderne, accompagnateur et soutien des acteurs économiques.
- Il faut que les OPCA, les partenaires sociaux et les différents acteurs du travail soient capables d’ouvrir grandes les vannes de la formation, cessent de museler un secteur où la vitesse de la pensée doit permettre d’innover en permanence.
- Enfin et surtout il faut que les travailleurs prennent conscience que sans de considérables efforts cognitifs, que sans remise en question permanente, que sans reconstructions professionnelles et éducatives leur avenir social pourrait être gravement compromis.

En l’an 2000 à Lisbonne la France s’est payée de mots, la crise révèle aujourd’hui la dimension des blocages professionnels qui perdurent dans notre pays. En 2013 ou 2015 il sera trop tard pour préparer de nouvelles lois ou imaginer de nouveaux dispositifs, 15 millions de salariés du privé ont leur crédit d’heures DIF à disposition, il faut qu’ils en fassent usage.

A propos de l’auteur :

Didier Cozin est auteur d’Histoire de DIF et du Reflex DIF

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