Le DIF, sept ans de malheur ? Par Didier Cozin (2/2)

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Dans la première partie de sa chronique publiée le 28 septembre dernier sur FormaGuide, Didier Cozin abordait la naissance du DIF et les grands espoirs que ce dispositif avait pu fonder dans l’univers de la formation. Avec, arrivé en 2005 et les 20 premières heures de DIF à écouler pour nombre de salariés, une myriade d’espoirs pour tous les acteurs de la formation professionnelle continue.
Fin 2005 : Le DIF Quézako ?
Rien ne se passa comme prévu en cette première année, le DIF entamait en fait sa longue carrière de marginal de la formation ! Moins de 2 % des salariés l’utilisèrent en 2005 et parmi ceux-ci de nombreux DIF étaient arrangés par l’employeur (Le DIF que les salariés étaient contraints d’accepter pour obtenir la moindre formation).
Mais l’espoir faisant vivre, en 2006 c’était promis le DIF allait démarrer sur des chapeaux de roues, le leader de la formation ne prédisait-il pas 7 % de DIF et encore 25 % en 2007 ?
Fin 2006, le DIF devint réellement maudit pour certains
Le nombre de DIF annuel n’évoluait pas, une queue de statistique avec 3 % de DIF dans l’année, le dispositif qui en 6 ans était censé concerner l’immense majorité de salariés (70 ou 80 %) mettrait à ce rythme 1 siècle ou deux pour toucher tous les travailleurs.
Beaucoup de mauvais génies attaquaient désormais ce pauvre DIF : les entreprises qui se donnaient sans cesse de nouveaux délais (« nous avons d’autres priorités »), les salariés n’ayant toujours pas compris l’intérêt de se former hors temps de travail, les OPCA qui alourdissaient le traitement des dossiers (quand ils ne les rejetaient pas purement et simplement) et les organismes de formation qui faisaient leurs comptes et commençaient à trouver le temps long (et couteux) !
2007 serait malgré tout (c’était promis) l’année de toutes les audaces
Le dispositif était à mi-parcours, les salariés avaient leur compteur à moitié pleins (60 heures sur les 120 maximum) et les entreprises intégraient que sans volontarisme et cadrage du dispositif celui-ci deviendrait un jour prochain incontrôlable et terriblement coûteux. Une rumeur commençait aussi à poindre : un possible abandon du DIF qui mourrait de sa « belle mort ». Un rapport commandé par la CCIP tentait de lui donner le coup de grâce : le DIF serait donc abandonné ou très édulcoré, certaines entreprises en faisaient désormais le pari.
Pour d’autres entreprises (plus réalistes) il devenait urgent d’agir. Les compteurs DIF des salariés donnaient le tournis, elles avaient intégré que ceux-ci ne descendraient jamais plus, qu’il fallait faire au plus vite des propositions DIF aux salariés. L’année prochaine, 2008 serait donc l’année du DIF.
Fin 2007 : le DIF, un objet formant toujours non identifié mais qui attendait son heure.
2008 : L’année du démarrage ?
Un faisceau de signaux alerta les DRH et services formation, le président de la République nouvellement élu contraignait les partenaires sociaux à reprendre la table des négociations sur la formation (avec un premier ANI signé dès janvier 2008). Le pays souhaitait réformer son marché du travail et instaurer une flexisécurité professionnelle qui passait par la conservation de certains droits détachés désormais du statut du salarié (dont le DIF) après un licenciement ou une démission (facilitée par la rupture conventionnelle adoptée durant l’été 2008).
Malheureusement deux évènements retardèrent une nouvelle fois le démarrage du DIF :
a) La volonté des pouvoirs publics de mener une réforme globale de la formation (y compris au niveau régional et du SPE) et donc de laisser du temps supplémentaire (une année en fait) aux partenaires sociaux avant l’examen d’une nouvelle loi courant 2009 (2010 devant être celui du grand chantier des retraites).
b) La crise économique qui dès la fin de l’été 2008 ravagea une partie du tissu social et économique français, avec pour conséquence la réduction drastique des budgets et des projets en formation (la formation étant une fois de plus considérée comme une docile et facile variable d’ajustement).
2008 fut donc l’année des occasions perdues. Le DIF était condamné cette fois par la crise à patienter une année de plus
2009 Le détournement du DIF
En 2009 la crise atteignit de plein fouet le tissu économique et social hexagonal (notamment les usines), certaines entreprises exsangues, sans commandes, sans trésorerie ni espoir de reprise préparaient des plans massifs de licenciements. Elles n’en eurent pas toujours l’occasion car les pouvoirs publics encouragèrent le développement du chômage partiel et autorisèrent la mise à contribution des financements DIF mutualisés par les OPCA pour assurer les paies en fin de mois.
Le DIF connut donc un paradoxal regain : il fut mis en place dans de nombreuses entreprises pour former sur le plan de formation durant les périodes de chômage. Ce Droit Individuel à la formation après avoir été une première fois victime de la crise fin 2008 fut alors mis à contribution dans un but autre que celui du développement des compétences de salariés.
Fin 2009 : Le DIF aura tenu un rôle surprenant de béquille financière et sociale au plus fort de la crise économique.
2010 : Le Krach en formation professionnelle ?
La date butoir des 6 ans est atteinte depuis le mois de mai 2010 : 10 millions de salariés du privé ont désormais leur compteur DIF plein, au bas mot la dette formation des entreprises s’élève à 1 milliard d’heures. La Cour des comptes estimait en 2009 que le risque total DIF pour les entreprises était de 77 milliards d’euros.
La perte de richesses entraînée par la crise ne pouvant plus être compensée par l’Etat ou par la dette, notre pays se retrouve face à de redoutables choix et contraintes sociales : comment remettre sur le marché du travail tous les jeunes faiblement éduqués, les salariés déclassés, les seniors sans avenir professionnel ?
Comment une formation professionnelle construite principalement pour les plus qualifiés va-t-elle pouvoir mettre à niveau, reconvertir (32 % des salariés souhaitent changer de métier) ou simplement promouvoir des millions de salariés alors qu’elle reste atteinte des trois maux dénoncés par le Sénat : complexité, corporatisme et cloisonnement (les 3 « C » du rapport du sénateur Carle en 2007) ?
Dans les prochaines années la crise et ses répliques risquent de laisser sur le « carreau professionnel » de nombreux travailleurs peu qualifiés. Notre pays aura-t-il la capacité financière et l’ambition d’assurer sa cohésion sociale en redonnant un espoir professionnel à ceux qui n’ont pu, pour diverses raisons, raccrocher les wagons d’un monde du travail soudainement devenu très exigeant et sélectif ?
La réponse n’est pas évidente mais le Droit individuel à la formation est toujours là, au service de tous, pour assurer cette indispensable sécurisation dans un monde professionnel qui ne peut abandonner un quart des actifs du pays.
Didier Cozin est auteur des ouvrages Reflex DIF et Histoire de DIF
- Voir la première partie de cette chronique publiée sur FormaGuide

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