Les maux du DIF et de la formation en 2011. Par Didier Cozin

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En ce mois de février 2011, nous avons le sentiment que les entreprises s’apprêtent une nouvelle fois à mettre en œuvre à dose homéopathique le DIF de leurs salariés. Toujours pas convaincues de l’intérêt de former largement tous leurs salariés, nombre d’entreprises ont adopté des stratégies diversifiées pour éviter la confrontation avec les personnels tout en préservant leur habituel plan de formation.

Bien évidemment cette non-prise en compte du Droit fondamental à la formation n’est jamais un NON ferme (qui serait sanctionné par les tribunaux). Les manœuvres sont plus subtiles, il s’agit de faire semblant de se préoccuper du dossier sans donner en général au service formation les moyens de le généraliser. En 2011 les entreprises, dans leur immense majorité, considèrent toujours le DIF comme un dispositif banal et sans intérêt (comme la VAE, le CIF ou les bilans de compétences) qu’on mettrait donc en œuvre de façon marginale (5 à 10 % de DIF au mieux) mais certainement pas comme le dispositif qui entraînera chaque salarié à développer en permanence ses compétences.

Tout se passe comme si les partenaires sociaux (patronat comme syndicats), dans un moment d’égarement en 2003, avaient signé pour une nouvelle formation professionnelle équitable mais que, passé ce moment de folie, les petits calculs économiques mesquins et les forts égoïsmes avaient repris le dessus.

Un sujet tabou, un coût

Aujourd’hui, dans l’immense majorité des grandes entreprises, le DIF reste un sujet tabou, un dossier dont on parle le moins possible, l’enfant caché et incestueux du monde du travail que le service formation aborde du bout des lèvres en s’excusant (lors du comité formation) puis qu’on referme rapidement en prétextant un manque d’appétence des salariés pour la formation.

La formation est encore et toujours vécue comme un coût dans les entreprises françaises (nombre de sociétés américaines en ont fait pourtant un levier dans notre pays). La formation ne se voit pas et beaucoup de sociétés se contentent du minimum légal (avec cette faible participation de 1,6 % de la masse salariale) ou attendent des subventions pour faire plus. Confrontées à des coûts salariaux élevés, les entreprises estiment disposer d’un avantage concurrentiel en ne mettant pas en œuvre d’une façon systématique le DIF.

Contourner la Loi de mai 2004 contribuerait selon elles à abaisser le coût du travail, ne pas former les salariés non qualifiés (c’est-à-dire les considérer comme une simple main d’œuvre d’appoint) devient année après année un sport national. 50 % des budgets formation vont immanquablement à 6 % des personnels mais le solde est souvent absorbé par la machine formation (intermédiaires paritaires, centres internes de formation, règlement des salaires et frais annexes des stagiaires…).

Quels sont les stratagèmes dont usent les grandes entreprises pour éviter le DIF ?

a) Sous équiper et sous doter le service formation. C’est le problème numéro un. Mis en œuvre bien avant le DIF, les plans successifs d’économies des années 90 ont vu les effectifs des services formation et RH diminuer fortement. Quand il y avait 3 personnes il en reste souvent une seule (pour mettre en œuvre la formation de 2 000 ou 3 000 salariés). C’est ainsi qu’un « grand » et célèbre magasin parisien n’a plus de service formation depuis la fin 2007. Ce grand magasin offre aux clients une belle vitrine, des centaines de vendeurs, un front office performant. Mais il ne faut surtout pas pousser la porte et aller visiter le back office, la catastrophe est annoncée : dans ce grand magasin parisien les 3 000 salariés se gèrent comme ils peuvent (c’est-à-dire qu’ils ne se forment pas) et les RH changeant tous les 6 mois ne semblent interpeller personne. Ce n’est même pas une question de moyens financiers puisque ce grand magasin est en très forte expansion. Non il s’agit plutôt d’un renoncement à former et à accompagner les salariés (ne parlons pas des seniors).

b) Un budget formation insuffisant. Comme notre pays aime les obligations et les contrôles, il a institué une obligation de payer 1,6 % de la masse salariale (pour les TPE c’est 0,55 %) pour la formation. Pour ceux qui l’ignorent, la masse salariale est égale au salaire brut des personnels (sans les cotisations patronales). Le SMIC est à 1 200 euros brut et une grande société (grande par le nombre de salariés) peut donc en toute légalité décider de ne consacrer que 19 euros par mois (soit 228 euros par an) pour la formation de chacun de ses salariés. Quand on sait que la moitié de cette somme est destinée aux OPCA et au Fongecif, qu’une partie encore est utilisée pour payer les salaires des stagiaires ou en coûteux frais annexes, il reste dans nombre de grandes entreprises de 70 à 80 euros par an pour former les salariés (les moins qualifiés).

c) Le parcours du combattant. Si un salarié peu qualifié se risque malgré tout à demander son DIF il peut encore trouver d’autres obstacles sur sa route : par exemple, une seule période par an pour demander son DIF (vous vouliez vous former au printemps 2011, il fallait le demander un an plus tôt !). Des exigences de mise en concurrence des organismes de formation pour un DIF de 2 jours, des imprimés introuvables, des priorités de branche inconnues, une information manquant sur les compteurs DIF (certaines entreprises découvrent aujourd’hui l’obligation de tenir un compteur DIF).

d) Le refus DIF. Conseillées par des « experts » autoproclamés en Droit de la formation, les entreprises ont cru comprendre que la Loi les autorisait à refuser un DIF sans aucune motivation. Elles ont estimé que le DIF n’était pas un Droit, mais une faveur qu’elles étaient totalement libres d’accepter ou de refuser (si nous avons le temps, si nous avons envie, si nous avons les budgets, si ça nous intéresse…). Pourtant, le refus DIF n’existe pas, comme nous le leur répétons depuis 2005. Seul le « désaccord sur le choix de l’action de formation » est admis par le Code du travail (pour éviter que l’entreprise ne soit entraînée vers des cours de guitare, de tennis ou des stages de remise en forme).

e) La prise en compte tardive. Il s’agit de découper l’année en la rapetissant autant que possible en 2 courtes périodes de réalisation. De janvier à mars on clôt l’exercice précédent, en avril on commence à penser au DIF, en mai et juin on fait quelques sessions de formation. Les sessions sont évidemment interrompues durant l’été (avec la légende d’organismes de formation ne travaillant pas durant l’été) et à l’automne on fait mine de découvrir que les budgets sont épuisés pour le DIF (justification illégale bien évidemment).

f) Le report du DIF. Autre justification, un DIF qu’on ne pourrait accepter cette année (« vous comprenez la crise économique.. ») mais qu’on accepterait bien volontiers l’an prochain (en espérant que les velléités de se former seront oubliées). La Loi parle d’un report durant deux années mais suite à des désaccords persistants. Ce n’est pas l’employeur qui peut reporter l’exercice du DIF, c’est simplement la constatation d’un désaccord persistant qui peut justifier une organisation du DIF par les Fongecifs (avec au final tout de même le financement par l’entreprise qui aurait refusé le DIF).

Arrêtons là la liste des mauvaises excuses DIF. Il existe autant de réponses DIF que d’entreprises, mais un fait demeure patent pour l’observateur qui fréquente les services formation depuis la promulgation de la Loi de mai 2004 : les entreprises n’aiment pas le DIF, elles pensent (à tort) que leur plan de formation pourvoie à tout ce dont elles ont besoin (et donc aussi aux besoins en développement des compétences des salariés), qui plus est, la crise économique de 2008 a entraîné partout les mêmes réactions de défense : on diminue les budgets formation (ou au mieux on les maintient), mais jamais on ne remet en question d’anciens choix apprenants, jamais on n’ira jusqu’à douter de l’efficacité du plan de formation. On forme donc l’organisation plutôt que les salariés et à ce jeu là, ceux qui n’ont pas un poste stratégique, ceux qui occupent un modeste emploi, ceux-là sont abandonnés à leur poste de travail, bien contents d’avoir du travail mais souvent en grand danger professionnel.

Pourtant un autre scénario est possible que cet éternel marginalisation du DIF : une prise de conscience individuelle et collective que dans la société de la connaissance et de l’information, les schémas anciens de faible implication, d’opposition et de confrontation sociale, que ces schémas sont devenus contre productifs et dangereux, qu’il faudra coopérer au sein d’une entreprise apprenante pour construire tous ensemble l’activité économique de demain.

A propos de l’auteur :
Didier Cozin est auteur des ouvrages « Histoire de DIF » et « Reflex DIF » publiés aux éditions Arnaud Franel.

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