Tentative de hold-up sur DIF de 15 millions de salariés du privé. Par Didier Cozin

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Les périodes électorales sont propices aux promesses de réformes et de nombreux candidats, ou partis, lorgnent désormais vers la formation professionnelle, en pensant que ce sera un thème de campagne fédérateur pour glaner quelques voix ou faire miroiter une société de plein emploi.

Dans ce monde économique incertain et exigeant la seule richesse dont les travailleurs peuvent se prévaloir est leur employabilité. Plus personne n’est propriétaire de ses marchés, de ses salariés, de son emploi et chacun doit conquérir, maintenir et développer son employabilité (les travailleurs doivent rester employables dans une entreprise compétitive).

C’est évidemment un redoutable challenge pour les salariés les moins qualifiés, ceux qui n’ont pas bénéficié (ou su profiter) d’une éducation initiale de qualité, mais peut-être plus encore ceux qui n’ont pas intégré que le diplôme (ou la qualification) sera de moins en moins le viatique pour toute une vie professionnelle, que chaque situation de travail doit être valorisée, appropriée et prétexte à progresser (mieux vaut être exploité mais gagner sa dignité de travailleur, que tenir le rôle d’éternel victime de la crise).

Le travail change

Les enjeux du XXIe  siècle ne sont plus ceux des XIXe  ou XXe siècle. Nous n’avons plus à industrialiser la société ou à rentrer dans des cases emplois toutes prêtes. Le travail change, il n’a pas disparu (proclamer la fin du travail fut une ineptie), mais il change de nature et de forme. Le travail se confondra de moins en moins avec l’emploi (de là, sans doute, les déconvenues chez Pôle emploi). Le travail salarié va régresser (nous avions atteint un pic de 93 % de salariés en l’an 2000) pour revenir à une situation où les petites structures, les artisans locaux, les indépendants reprendront une bonne part du flambeau du travail (ils sont flexibles, en phase avec les besoins du marché tout en ne comptant pas leurs heures).

Dans ce contexte où les vérités idéologiques et fondatrices du XIXe siècle sont remises en cause (l’exploitation capitaliste des hommes, la séparation entre le temps travaillé et le temps de loisirs, la relation déséquilibrée entre l’employeur et l’employé….) par la réalité économique et sociale, il devient fondamental pour les individus de changer, de comprendre, d’être accompagnés et de sortir de leur zone de confort idéologique (personne ne renverra dans les mine de Germinal des enfants en France).

Le rôle des salariés

Mais qu’en est-il dans la formation et pourquoi le DIF risque-t-il d’être banalisé et noyé dans de vastes projets de réforme sociale ?

Aujourd’hui le monde de la formation souffre d’anémie. D’un modèle bureaucratique et confortable du plan de formation censé tout prédire et planifier, l’entreprise doit désormais faire confiance à ses salariés pour organiser leur montée en compétence, tendre vers l’entreprise apprenante, savoir déléguer, partager l’information et les connaissances.

Le DIF fut créé en 2003 par des partenaires sociaux sommés par le gouvernement de l’époque (le ministre du Travail s’appelait François Fillon) de conclure un accord sur la formation. Ils trouvèrent la force d’innover en inventant un droit révolutionnaire : le Droit Individuel à la formation (DIF).

Même si certains points restaient flous (notamment le  financement du DIF) l’important était cette prise de conscience, bien avant la crise de 2008, qu’il était vital pour le pays comme pour les individus d’aller au-delà du plan de formation et de l’éducation initiale pour tous, en inscrivant dans la loi un Droit individuel à la formation.

En ce début d’année 2012 la situation de la formation professionnelle à l’aune du DIF peut être résumée en quelques grandes lignes :     

- Un milliard d’heures de DIF ont été cumulées par les salariés du privé depuis 2004
- 100 millions d’heures de DIF environ sont capitalisées tous les ans dans les 3 fonctions  publiques (avec un blocage des compteurs DIF dès 2013)
- Le DIF est connu et reconnu par 95 % des salariés (enquête démos de mars 2011)
- Plus de 30 % des salariés ont des projets de reconversion professionnelle (la crise révèle les hiatus professionnels mais offre aussi des opportunités pour certains)
- 3 millions de salariés sont illettrés dans notre pays
- Le seul indicateur pertinent et européen en matière de formation nous classe en 21e position parmi les 27 pays de l’Union européenne quant à l’accès des salariés à la formation (moins de 5 % des salariés français partent en formation sur un mois alors que les objectifs européens sont de 20 % pour l’horizon 2020).

Aujourd’hui alors que le plan de formation perd de son importance et que les budgets formation sont tendus, de nombreux acteurs de la formation souhaitent faire main basse sur ce  capital formation accumulé par les salariés depuis 2004. Il s’agirait, selon ces doctes experts, de verser les heures de DIF des salariés sur un Compte Social Individuel qui permettrait de sécuriser les transitions professionnelles, tout en abondant les heures de DIF pour les actifs les moins qualifiés.

Nous estimons non seulement que cette solution est illusoire (les salariés les moins qualifiés ont besoin de professionnaliser, pas de retourner dans une école bis durant de longs mois) mais qu’elle constitue une atteinte à ce nouveau droit des travailleurs, celui de se former avec le soutien de leur employeur, dans le cadre du développement de leurs compétences.

Un droit à la formation

Le DIF des salariés est leur capital éducatif et il serait contre-productif qu’on brouille à nouveau les cartes et les dispositifs dans une vaste tambouille où les différents droits sociaux (droits aux RTT, droits à une protection sociale, droit à la formation, bilans de compétences..) seraient versés.

Le droit à la formation est peut être un dispositif diabolique, mais les partenaires sociaux doivent aller au bout de leur volonté et des espoirs qu’ils ont suscités, ils doivent laisser le DIF tel qu’il est (avec tous ses défauts), afin qu’il réussisse à « culbuter » une vieille dame formation professionnelle incapable de changer d’elle-même.

En cette année 2012 la balle n’est plus dans le camp des partenaires sociaux ou des pouvoirs publics, mais dans celui des 15 millions de travailleurs du secteur privé, des 5 millions de fonctionnaires, de toutes ces personnes qui doivent comprendre et être accompagnées dans  la société de la connaissance. Personne ne doit être oublié, mais personne n’a le droit de préempter ce nouveau droit de l’homme qu’est devenu le droit à la formation.

A propos de l’auteur :
Didier Cozin
est auteur des ouvrages histoire de DIF et Reflex DIF.

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