La formation en France, un vrai choc de complexité. Par Didier Cozin
En mars dernier le président de la République avait pourtant promis que l’Etat allait s’imposer « un choc de simplification ». Force est de constater que non seulement il n’en est rien, mais surtout que la machine à produire des textes législatifs et réglementaires s’est emballée. On peut faire le pari que la nouvelle Loi sur la formation promise pour la fin d’année ne dérogera pas à la règle de l’hyper-technicité alliée à la prolixité. Alors que la crise fait rage et que le pays comptabilise de 30 000 à 40 000 chômeurs supplémentaires par mois, cette loi et la réécriture du code du Travail feront par ailleurs de 2014 une année sans formation ou presque.
Tout se passe comme si le numérique et la facilité à réaliser des « copier-coller » avaient offert à chaque administration l’opportunité de démultiplier textes, règlements, circulaires et formulaires. En 2008 le code du Travail a été réécrit dans un prétendu souci de simplification. Il compte toujours 2 500 pages et près de 7 000 articles.
Quand les anglo-saxons assimilent la complexité administrative à des impôts inutiles, la France croit que sa force et son rayonnement tiennent dans la quantité de lois, de textes et de règlements qu’elle accumulent tous les ans.
Personne ne semble comprendre que l’intelligence au XXIe siècle ne consiste pas à produire des documents bavards ou sans valeur ajoutée, mais bien au contraire à simplifier, à vulgariser et à rendre accessible au plus grand nombre l’information citoyenne.
Un service formation collecteur d’impôt
Loin d’être épargnée par cette prolixité et cette complexité, la formation professionnelle française représente la quintessence des usines à gaz administratives, un empilement de règles, de procédures et de dispositifs qui rendent sa généralisation problématique, pour ne pas dire impossible.
L’Etat prétend simplifier et réformer, mais bien souvent il ne fait qu’aggraver la situation en creusant les inégalités et le fossé entre des « élites » conseillées et détenant les clés et les codes des textes, et le peuple qui devient étranger et insécurisé dans son propre pays du fait de cette complexité informationnelle.
Si la formation professionnelle tout au long de la vie est depuis des années si complexe, coûteuse, cloisonnée et inéquitable, c’est parce que l’Etat, en 1971, a décidé de transformer une fonction de l’entreprise (le service formation) en un service chargé de collecter un impôt baptisé « cotisation formation », impôt qui doit être versé à l’Etat ou, depuis 1992, à des Organismes paritaires collecteurs agréés (ou encore au « FPSPP » dont le seul sigle illustre la complexité).
Pour illustrer la complexité qui empêche la formation professionnelle de se développer tentons d’imaginer ce que serait l’organisation d’une séquence de cours à l’Education nationale si celle-ci devait respecter les obligations imposées en formation des adultes.
En simplifiant, il faudrait pour chaque séquence éducative :
1. Demander un financement soit aux parents, soit à un organisme collecteur, soit à l’Etat (soit à tous les trois réunis),
2. Remplir et transmettre divers formulaires pour obtenir la prise en charge financière, demander aussi parfois une subrogation de paiement,
3. Demander et obtenir une autorisation écrite d’absence,
4. Remplacer auprès des parents les apprenants qui doivent partir en formation,
5. Attendre une réponse des organismes financeurs précités (parfois durant plusieurs mois),
6. Signer et conserver des conventions tripartites de formation entre les apprenants, leurs parents et l’établissement formateur,
7. Recruter tous les matins des formateurs (qu’on ne pourrait salarier du fait de l’instabilité de la commande),
8. Trouver et louer des locaux privés, avec un mobilier et des équipements adaptés,
9. Faire lire, commenter puis signer le règlement intérieur,
10. Gérer les absences en stage (et ne pas être payé en cas de défection d’un apprenant),
11. Faire signer une fiche de présences pour chaque ½ journée (apprenants comme formateur),
12. Verser des indemnités aux apprenants,
13. Rembourser (sur justificatif) tous les frais annexes des apprenants et des formateurs,
14. Réaliser une évaluation systématique des acquis de la formation (et la communiquer) quelle que soit la durée de la formation (3 heures de formation = une évaluation !)
15. Reproduire en plusieurs exemplaires les fiches de présences signées tout en archivant soigneusement les originaux,
16. Transmettre à plusieurs administrations ou organismes les fiches de présences, les évaluations, les attestations de stage,
17. Envoyer les factures pour les prestations d’enseignement (parfois une facture par stagiaire ou par séquence de 2 heures) accompagnées de tous les documents légaux,
18. Payer la location de la salle de formation, du matériel pédagogique, régler le formateur (à la vacation),
19. Archiver tous les documents administratifs (originaux des fiches de présences, copies des attestations de stages, questionnaires qualité, suivis des évaluations par ½ journées),
20. En fin d’année, recenser l’intégralité des formations réalisées, les chiffrer en heures globales, en heures stagiaires, les classer par thèmes de formations (parmi la trentaine proposée), rappeler pour chaque formation quel était le statut de l’apprenant, son financeur, le cadre dans lequel elle a été menée.
Si donc l’Etat pour chaque séquence d’enseignement devait suivre les règles qu’il impose en formation continue des adultes, on peut se demander quelle serait la proportion de jeunes formés tout au long de l’année. Sans doute guère plus importante que celle des salariés partant en formation.
Evidemment, comparer les missions de l’Education nationale et celles de la formation professionnelle des adultes peut sembler incongru à certains… mais :
- La formation tout au long de la vie nécessite une remise en question permanente des connaissances et des compétences de chaque travailleur.
- Si en l’an 2000 on estimait qu’il fallait passer 10 % de son temps travaillé à apprendre, à se former, à l’horizon 2030 ce devrait être 20 % du temps travaillé (soit plus de 200 heures de formation par travailleur chaque année),
- Contrairement au discours propagé un peu partout (la cagnotte formation) la France dépense globalement peu pour former les travailleurs dans le secteur concurrentiel (le seul où l’on peut perdre son emploi).
Un système de formation inadapté
- La dépense moyenne (avec d’énormes disparités) est d’environ 500 euros par an et par salarié (7 milliards d’euros pour 15 millions de salariés du privé) soit 20 fois moins que pour former un lycéen (10 000 euros par an et par lycéen en moyenne).Le système français de formation professionnelle continue (qui succéda en 1971 à la promotion sociale et professionnelle des années 60) était peut-être adapté à une ère industrielle stable où l’on se qualifiait une seule fois et pour la vie entière, un système où les transitions et ruptures professionnelles étaient exceptionnelles.
Il est évidemment inadapté à la société de la connaissance et de l’information. Dans cette nouvelle société, les cartes sont rebattues en permanence, la roue de l’activité, de travail, des compétences, tourne sans cesse, un diplôme ou une qualification ne peuvent plus servir de viatique pour toute une vie, les travailleurs sont confrontés à un déluge de connaissances et de nouvelles informations. Sans la formation tout au long de la vie, ils seront submergés.
Dans la formation, la complexité est un « crime » contre les pauvres, elle rend les apprentissages rares, coûteux et difficilement accessibles aux travailleurs non qualifiés. 50 % des budgets formation vont aux 6 % de travailleurs les plus qualifiés parce que les autres ne peuvent, ne savent pas faire valoir leur droit à la formation.
Les pouvoirs publics prétendent une nouvelle fois réformer la formation, mais ne prennent-ils pas le risque d’ajouter des surcouches de complexité, de provoquer attentisme et défiance dans un univers professionnel déjà meurtri par la crise ?
La confiance de nos concitoyens tient plus que jamais dans l’Etat et dans ses missions. Si le contrôle et la paperasse étouffent l’initiative et le pays (y compris la fonction publique), les français se réfugieront dans la défiance, la non-activité et le fatalisme économique et social. « Planqués » derrière leurs livrets d’épargne, leur assurance vie et leur immobilier, ils laisseront à d’autres peuples plus adaptés et entreprenants le soin de construire la nouvelle économie de la connaissance et de l'information.
A propos de l’auteur :
Didier Cozin est auteur des ouvrages « Histoire de DIF » et Id-Reflex DIF publiés aux éditions Arnaud Franel.
économie de la connaissance et de l’information.
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