Le CPF : entre un CIF bis et le DIF moins, un projet complexe. Par Didier Cozin

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Les "négociations" actuelles menées pour réformer la formation et tenter de formaliser le Compte Personnel Formation (CPF) confirment nos doutes et nos craintes de janvier 2013 : la sécurisation des travailleurs en France ne passera sans doute pas par la mise en œuvre d’un Compte Formation.

Le Compte Personnel de Formation (CPF), invention de dernière minute de l’ANI de janvier 2013, n’aura été qu’un coup de bluff des partenaires sociaux signataires de l’Accord.

Le pré-rapport de l’IGAS, communiqué le 25 novembre 2013, démontre à l’envie que le chantier (qui a déjà pris 6 mois de retard dans sa mise en œuvre pratique) sera titanesque pour doter chaque actif en France (28,5 millions, bientôt 30 millions d’individus) d’un CPF utilisable pour effectivement se former.

Le précédent fiasco d’Eco-mouv devrait refroidir les ardeurs des pouvoirs publics : quand on n’a pas les moyens de ses ambitions, mieux vaut ne pas prétendre tout changer ou réformer en profondeur ce qui devait simplement être amendé.

 

Pourquoi le CPF est-il voué à l’échec ?

 

1) Il réinvente (à la baisse) un dispositif de formation qui existe déjà : le CIF (Congé Individuel de Formation). Celui-ci a fêté récemment ses 30 ans. Il permet à un salarié de partir en reconversion professionnelle durant 3 mois à 9 mois tout en étant rémunéré comme s’il était au travail. Le CPF devrait lui aussi permettre de partir en formation, mais durant 120 heures au maximum (17 jours) et ceci sans aucune rémunération (sauf si l’employeur souhaite l’organiser sur le temps de travail, ce qui ne risque guère d’arriver).

2) Il nécessite la construction d’un projet qualifiant de formation (tout comme le CIF) et donc de passer devant un conseiller formation, puis une commission (il faudra bien répartir les fonds de la formation). Les travailleurs souhaitant simplement mettre à jour leurs connaissances ou peu assurés de leur projet pourront passer leur chemin (manque de chance, ce sont les moins qualifiés dans leur écrasante majorité !).

3) Il abandonne le principe d’un dialogue social (instauré par le DIF) entre l’employeur et son salarié, au profit d’un processus administratif d’allocations de moyens.

4) Il nécessitera des longues années de rodage. L’IGAS parle avec euphémisme d’un partenariat "complexe" concernant la mise en œuvre.

5) Le CPF serait triplement lourd et complexe à mettre en œuvre :

- Au niveau de l’acquisition des droits il faudra suivre mois après mois (car tout le monde ne travaille pas en CDI à la RATP) les itinéraires professionnels de tous les actifs de France, leur communiquer de façon certaine le Compte de leurs heures de formation (c’est l’intitulé du dispositif !).

- Au niveau de la commande de formation : il faudra former plusieurs milliers (dizaine de milliers peut-être) de conseillers en orientation professionnelle. Des conseillers qui connaîtront tout des branches et des secteurs professionnels, des accords d’entreprises, GPEC, possibilités de reconversion professionnelle de chaque bassin d’emploi (y compris ceux d’autres pays de l’Union Européenne)... Il faudra évidemment créer des centres, mailler tout le territoire de tels organismes.

- Au niveau du système de gestion du compte il faudrait suivre et réaliser (selon l’IGAS) :

- L’identification du projet de qualification professionnelle (nature de la qualification, durée)

 - L’enregistrement des caractéristiques de la formation choisie (prix, organisme de formation, date d’entrée en formation, assiduité, date de sortie)

- Les dispositif(s) de financement mobilisé(s) en sus des droits capitalisés pour garantir le financement complet et les heures d’abondements associés fléchées


- L’entrée et la sortie effective de formation


- L’enregistrement du paiement de l’action de formation (sur service fait) par le financeur principal et de la demande de remboursement à due concurrence des droits capitalisés à l’organisme débiteur de ces droits


- Le décompte des droits consommés dans le compte

- Les modalités d’enregistrement restent à préciser : import depuis les SI métier ou saisie manuelle par les organismes partenaires (conseil et/ou financement)

 

La question du financement

 

Le dernier point que l’IGAS n’a pas abordé est celui du financement. Qui va payer pour la formation de potentiellement 28,5 millions de travailleurs en France ?

Sachant qu’aujourd’hui la formation est au mieux utilisée par 15 % des salariés (les plus qualifiés), suffira-t-il de ne plus les former (au risque de perdre encore de la compétitivité) pour alors former les 6 à 8 millions de travailleurs déclassés par l’économie de la connaissance ? Quand ces millions de travailleurs pourront-ils passer 6 mois ou 1 an à se remettre à niveau ? Sur leur temps de travail ? En ont-ils vraiment envie ?

Nous n’avons abordé ici que quelques une des questions que pose le Compte Personnel Formation. Si le principe d’une formation équitable et universelle est consensuel, tenir cette promesse ambitieuse  prendra de très nombreuses années, et il serait irresponsable de détruire l’existant - qui peut et doit encore être amélioré - pour se lancer, sans argent ni réelle organisation, dans des expérimentations sociales et organisationnelles risquées.

Alors que nous venons d’apprendre par l’intermédiaire de l’enquête PISA que l’éducation nationale ne remplit plus son rôle en France (qui est d’éduquer, mais aussi de donner des chances à chacun dans la société de la connaissance), les pouvoirs publics auraient sans doute mieux à faire que de déstabiliser une formation professionnelle qui n’a pas plus de défauts que d’autres institutions éducatives en France.

Comme l’a dit Gandhi, «  Soyez le changement que vous voulez voir dans le monde ».

 L’urgence n’est-elle pas la propre réforme de l’Etat aujourd’hui en France ?

 

Didier Cozin est ingénieur de formation professionnelle. 

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