Travailler mieux pour grandir avec le travail. Par Didier Cozin (1/2)
Le débat sur les retraites est venu à point dans notre pays. A force de détérioration, de démobilisation et de conflictualité, le travail n’était-il plus devenu qu’un mauvais moment à passer, une parenthèse laborieuse entrecoupée de temps libres tant désirés ? Loisirs, retraite, ponts, RTT, jours fériés et vacances peuvent-ils tenir d’idéaux professionnels ?
Le débat sur les retraites (et aussi donc la fin du travail) remet paradoxalement ce même travail au centre des préoccupations et des attentes des français. Reprenons un peu cette longue histoire du travail (en occultant ses premiers temps faits d’esclavage puis de servage).
Après l’avoir vécu comme une nécessité (travailler pour manger) une torture (tripalium), une perte existentielle (« ne pas perdre sa vie pour la gagner ») et au final une souffrance (mourir au travail) les français ne doivent-ils pas se réapproprier leur avenir professionnel ? Cet extraordinaire moyen de mettre son savoir, ses compétences et ses qualités humaines au service des autres ?
Pour se remettre (du) au travail, encore faut-il redonner un sens à ce même travail. Les travailleurs durant toute l’industrialisation furent souvent dessaisis de leurs gestes professionnels. Le travail en miette, le travail parcellisé, le travail incompréhensible était devenu une calamité pour les moins qualifiés (devenus simple main d’œuvre corvéable). A force de mécanisation et de spécialisation, l’idée même d’un travail accomplissement de soi, d’un travail qui ferait grandir et mieux comprendre le monde, cette idée fut abandonnée par nombre de nos concitoyens.
Le poids de l’industrie
Notre pays et ses paysages furent bouleversés sous les coups de l’industrialisation : désertification des campagnes au profit des villes et grandes agglomérations, mécanisation de l’agriculture (on manquait de bras), des transports (les chemins de fer puis la route), de l’habitat (les grands ensembles, les banlieues), de la consommation (l’hypermarché et le centre commercial), du travail (la grande manufacture puis le quartier d’affaires et ses tours de bureaux) et même des loisirs avec la télévision ou le parc d’attraction, l’industrie était partout.
L’industrie a façonné tout autant les paysages, les villes que les esprits, les emplois et les mentalités :
- Une parcellisation du travail et une « morcelisation » des tâches (le travail en miette, Georges Friedmann, 1956) - Une spécialisation et un enfermement dans des champs professionnels toujours plus étroits (le référentiel métier tenant lieu de viatique pour une vie laborieuse) - La séparation artificielle entre les travailleurs manuels (ceux qui n’ont pas réussi à s’ « élever » grâce à l’école) et les travailleurs intellectuels à qui seuls l’organisation pourrait offrir un travail stimulant ou des perspectives de mobilité et de promotion professionnelle - Une déresponsabilisation du corps social : au lieu de travailler ensemble sur des projets communs, le travail et le capital s’affrontent pour le partage d’un gâteau de moins en moins conséquent - Un minutage et une réduction anachronique du temps travaillé (les neurones ne se mettent pas en route au coup de sifflet comme l’a souligné Guy le Boterf) - Un travail démobilisateur, devenant souvent insupportable (quand on ne peut aimer son travail on lutte pour qu’il disparaisse ou soit le moins présent possible)
Charlie Chaplin dénonça cet univers dans un de ses plus célèbres films : « Les temps modernes ». L’univers déshumanisé de la grande agglomération avec sa grande usine et au milieu un petit homme, perdu, victime de forces qui le dépassent, tour à tour ouvrier spécialisé dans le serrage de boulons, convive obligé d’une machine automatisée à déjeuner, meneur involontaire de manifestations, pourchassé par la police puis par des malfrats et qui trouvera au final la paix et l’amour auprès d’une orpheline en prenant ses cliques et ses claques avec son baluchon, loin de cette invraisemblable existence moderne.
Si, comme la réforme actuelle des retraites le laisse présager, nous devions refonder le travail, si celui-ci doit être réévalué pour que les salariés s’impliquent et collaborent à nouveau au sein de l’entreprise (dernière organisation structurante dans notre pays), chacun va devoir relever ses manches.
Les employeurs peuvent-ils demander une mobilisation des travailleurs réelle si en retour ils n’apportent pas un cadre professionnel de qualité ? Un cadre digne pour travailler ce n’est pas (plus) seulement de l’eau chaude aux robinets ou un système d’éclairage performant. Non, un cadre digne au XXIe siècle, c’est avant tout un cadre favorisant les apprentissages, la prise de responsabilité, l’autonomie et le développement des compétences.
Nous ne chercherons pas qui de la poule ou de l’œuf a rendu le travail si insupportable à nos concitoyens mais plutôt comment le réinventer et sortir de cette opposition stérile qui marqua les XIXe et XXe siècles : le travail luttant contre le capital.
La déresponsabilisation sociale ne peut perdurer, il faut désormais sortir le social par le haut et ne plus renvoyer vers la collectivité ceux qui ont dû laisser passer le train de l’apprenance depuis 10 ou 20 ans.
- Retrouvez prochainement la deuxième partie de cette tribune.
Après l’avoir vécu comme une nécessité (travailler pour manger) une torture (tripalium), une perte existentielle (« ne pas perdre sa vie pour la gagner ») et au final une souffrance (mourir au travail) les français ne doivent-ils pas se réapproprier leur avenir professionnel ? Cet extraordinaire moyen de mettre son savoir, ses compétences et ses qualités humaines au service des autres ?
Pour se remettre (du) au travail, encore faut-il redonner un sens à ce même travail. Les travailleurs durant toute l’industrialisation furent souvent dessaisis de leurs gestes professionnels. Le travail en miette, le travail parcellisé, le travail incompréhensible était devenu une calamité pour les moins qualifiés (devenus simple main d’œuvre corvéable). A force de mécanisation et de spécialisation, l’idée même d’un travail accomplissement de soi, d’un travail qui ferait grandir et mieux comprendre le monde, cette idée fut abandonnée par nombre de nos concitoyens.
Le poids de l’industrie
Notre pays et ses paysages furent bouleversés sous les coups de l’industrialisation : désertification des campagnes au profit des villes et grandes agglomérations, mécanisation de l’agriculture (on manquait de bras), des transports (les chemins de fer puis la route), de l’habitat (les grands ensembles, les banlieues), de la consommation (l’hypermarché et le centre commercial), du travail (la grande manufacture puis le quartier d’affaires et ses tours de bureaux) et même des loisirs avec la télévision ou le parc d’attraction, l’industrie était partout.
L’industrie a façonné tout autant les paysages, les villes que les esprits, les emplois et les mentalités :
- Une parcellisation du travail et une « morcelisation » des tâches (le travail en miette, Georges Friedmann, 1956) - Une spécialisation et un enfermement dans des champs professionnels toujours plus étroits (le référentiel métier tenant lieu de viatique pour une vie laborieuse) - La séparation artificielle entre les travailleurs manuels (ceux qui n’ont pas réussi à s’ « élever » grâce à l’école) et les travailleurs intellectuels à qui seuls l’organisation pourrait offrir un travail stimulant ou des perspectives de mobilité et de promotion professionnelle - Une déresponsabilisation du corps social : au lieu de travailler ensemble sur des projets communs, le travail et le capital s’affrontent pour le partage d’un gâteau de moins en moins conséquent - Un minutage et une réduction anachronique du temps travaillé (les neurones ne se mettent pas en route au coup de sifflet comme l’a souligné Guy le Boterf) - Un travail démobilisateur, devenant souvent insupportable (quand on ne peut aimer son travail on lutte pour qu’il disparaisse ou soit le moins présent possible)
Charlie Chaplin dénonça cet univers dans un de ses plus célèbres films : « Les temps modernes ». L’univers déshumanisé de la grande agglomération avec sa grande usine et au milieu un petit homme, perdu, victime de forces qui le dépassent, tour à tour ouvrier spécialisé dans le serrage de boulons, convive obligé d’une machine automatisée à déjeuner, meneur involontaire de manifestations, pourchassé par la police puis par des malfrats et qui trouvera au final la paix et l’amour auprès d’une orpheline en prenant ses cliques et ses claques avec son baluchon, loin de cette invraisemblable existence moderne.
Si, comme la réforme actuelle des retraites le laisse présager, nous devions refonder le travail, si celui-ci doit être réévalué pour que les salariés s’impliquent et collaborent à nouveau au sein de l’entreprise (dernière organisation structurante dans notre pays), chacun va devoir relever ses manches.
Les employeurs peuvent-ils demander une mobilisation des travailleurs réelle si en retour ils n’apportent pas un cadre professionnel de qualité ? Un cadre digne pour travailler ce n’est pas (plus) seulement de l’eau chaude aux robinets ou un système d’éclairage performant. Non, un cadre digne au XXIe siècle, c’est avant tout un cadre favorisant les apprentissages, la prise de responsabilité, l’autonomie et le développement des compétences.
Nous ne chercherons pas qui de la poule ou de l’œuf a rendu le travail si insupportable à nos concitoyens mais plutôt comment le réinventer et sortir de cette opposition stérile qui marqua les XIXe et XXe siècles : le travail luttant contre le capital.
La déresponsabilisation sociale ne peut perdurer, il faut désormais sortir le social par le haut et ne plus renvoyer vers la collectivité ceux qui ont dû laisser passer le train de l’apprenance depuis 10 ou 20 ans.
A propos de l’auteur : Didier Cozin est auteur des ouvrages « histoire de DIF » et « Reflex DIF » |
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